(continuare prozã)
(fragments du volume "L'arc-en-ciel aux humains" de Antonia Iliescu, Editura Libra Vox, Bucuresti 2002)
Il y a chez nous, à l'institut un monsieur qui ressemble
terriblement à monsieur Hullot, mais il est même plus excentrique et drôle.
Il est
venu sur la planète Terre voici 60 ans, avec une mission précise en rapport
avec les pigeons voyageurs. Il avait été envoyé par le conseil de
l'étoile beta-Columba [1] pour résoudre
une vieille énigme. Son coeur de lumière bleuâtre fonctionne à
l’aide de la vibration de haute fréquence de l’ancestral pigeon libéré
par Noé de son arche. Le pigeon avait alors continué sa mission de guide des
argonautes vers
Un jour il vient dans notre salle de labo et nous dit:
-
Les filles, n’avez-vous pas par hasard, un poinçonneur? Je ne trouve plus le
mien; je crois que je l'ai prêté à quelqu'un… Je ne me souviens plus à
qui… C’est à vous peut-être...
Nous,
aimables comme d'habitude, et sensibles aux charmes de monsieur
Brãiloïu, nous
précipitons pour le servir, en lui offrant notre poinçonneur ("le jeune
marié" comme il avait été baptisé par un collègue); et il est assez
robuste ce jeune marié!
Dès
qu'il l'aperçoit, monsieur Brailoïu écarquille ses yeux ronds et, en balançant
la tête d'une manière candide, il éclate:
- Mais c'est justement le poinçonneur que je ne trouvais pas!
- Eh, vous ne
pouvez pas dire ça! - disons-nous en colère - C'est bien madame Lili qui nous
l'a laissé lorsqu'elle a pris sa retraite!
Enfin il nous quitte sans conviction. Le lendemain il revient . Il entre en balançant
son corps sur ses grands pieds, portant des souliers usés méthodiquement,
jusqu'à la corde:
-
Les filles, voilà ce que j'ai trouvé dans mon labo!
Et il sort de
sa poche un pauvre poinçonneur tout ratatiné, qui n'était ni le quart de
notre jeune marié.
Une autre bizarrerie du monsieur Brailoiu est la manière de s'habiller.
En hiver il porte de gros pantalons (qui ressemblent à une vieille écorce
d'arbre), beaucoup plus courts que ses immenses jambes. Mais en été sa tenue
est encore plus excentrique, car son habillement habituel pour travailler dans
le labo est le pyjama. Il en a deux, pour se changer: l'un est blanc aux raies
roses et l'autre est rose aux raies bleues. Le fait est qu'il porte seulement
les pantalons de pyjamas, car par-dessus il porte le vêtement de protection
avec l'écusson qui te montre clairement qui est ce monsieur original: Ms. Brailoïu Ion, chercheur scientifique principal, Institut X.
Il y a trois semaines il a fêté son anniversaire. Nous lui avons offert,
comme cadeau, un stylo
que nous avons emballé dans une vieille boîte remise à neuf à
l'aide d'un papier d'emballage sur lequel étaient reproduits des petits
oiseaux. On n’a pas choisi par hasard ce papier. Monsieur Brailoïu aime à la
folie les oiseaux de n'importe quelle sorte, mais surtout les pigeons voyageurs.
Dès qu'il arrive au labo le matin, il nourrit les pigeons qui ne se méfient
pas d'entrer par la fenêtre et de venir manger dans la paume du maître, imbibée
de l'odeur de pyridoxine ou d'autres poisons chimiques. Les oiseaux sur le
papier étaient des moineaux assis deux par deux sur un rameau d'érable.
Monsieur Brailoiu fut vraiment fasciné par l'aspect de la boîte, de sorte qu'il
ne pût se décider, heure après heure, à défaire le petit noeud du ruban doré.
Il branlait la boîte près de son oreille droite et souriait... Il s'émerveillait
déjà en essayant de
deviner quelle chose merveilleuse se cachait dedans. Sur le tard il nous confie
qu'il ne voulait pas briser le noeud du ruban, qui "passait exactement
parmi les deux moineaux, comme un rayon de soleil. »
- …Et mes filles, la boîte avait aussi des moineaux à l'intérieur.
Vous ne pouvez pas vous imaginer quel plaisir
vous
m'avez fait!
Les
quatre collègues fixèrent le rendez-vous à
A
16H 05, juste au moment où le chef de train faisait sa dernière inspection sur
le perron, à l'horizon on vit monsieur Brailoïu qui, en courant, faisant désespéré
des signes étranges avec ses mains. Et tiens! Il a quelque chose bizarre sur l'épaule
droite... Au fur et à mesure qu'il
s'approche on peut voir qu'il tient sur l'épaule un balluchon de toute beauté,
fait d'un drap, où il avait amassé en vitesse ses habits.
Les
trois dames s'entre regardèrent perplexes: "- Que faire maintenant ?
Comment apparaître dans cet état lamentable dans la grande France? S’ils le
verront avec son balluchon à l’épaule ils nous tourneront le dos, à juste
titre ! Ils nous diront que l’élevage des moutons se fait dans les
montagnes et non pas à Paris, à l’Université. Eh, mes chères, qu’est-ce
qu’on fait ?! "
Elles s’envoyèrent encore une fois un long et significatif regard. Sans un mot
de plus, elles foncèrent sur les bagages et descendirent les valises.
Monsieur Brailoïu fonça, essoufflé, vers la porte
de la voiture, le baluchon sur l'épaule, les trois dames saisirent l'odieux
objet, le défirent et le violèrent au milieu du compartiment de première
classe, sous les regards ébahis de leur collègue : « Qu’est-ce
qu’il vous a pris, mes chères ? » Le butin fut partagé en
quelques secondes : Doina prit deux paires de pantalons, Nina prit quatre
chemises et le pyjama, Anca mit la main sur la lingerie. Dès que le train fut
nettoyé des vieux chiffons et que tout le monde était à sa place, les dames
commencèrent à chuchoter entre elles:
-
Quelle honte, ma chère, cela ridiculise la science roumaine! Figures-toi ce
qu'il se serait passé si sur le perron de Paris était apparu notre berger! Il aurait
ressemblé en quelque sorte à l'un des premiers chercheurs d'or qui avaient mis
le pied sur
Monsieur
Brailoïu s'est enrichi lui aussi, mais non pas avec de l'or (les chaussures usées
en sont la preuve). Il a conquis une autre terre promise: la science et nos
coeurs. Mais surtout il a conquis l'unicité.
[1] Beta-Columba fait partie de la Constellation Columba (Le pigeon) (n.a.)